Voici avec l'aimable autorisation de son auteur, le texte d'une conférence faite par Jacques Filhon lors de l'exposition de Metz sur le sujet. Jacques Filhon est un ami des Mastiffs, amateur et éleveur de Briards et de Bulldogs.
Le bon déroulement de la gestation aura une influence sur le comportement futur des chiots.
Pendant le premier mois, bien qu’il n’y ait pas d’interaction sur les fœtus, du moins sur un plan comportemental, il est fortement déconseillé d’exposer la chienne à des stress répétés, ou à des situations inhabituelles. De même il ne faut pas modifier ses habitudes ni l’isoler si elle a l’habitude d’une vie de meute.
Le deuxième mois revêt plus d’importance. Sans l’isoler totalement, ce qui pourrait être un facteur de stress, il convient d’être attentif car il est maintenant établi que le comportement de la mère –stress, bien-être – durant cette période influe sur les fœtus. Il est même recommandé, pour une meilleure socialisation à l’espèce humaine, de caresser les flancs de la chienne régulièrement.
Nous avons eu une chienne briarde qui dormait avec une Bulldog, et ce même la veille d’une mise bas. Les petits briards certainement bercés par le doux ronflement de la Bulldog, n’ont jamais eu d’appréhension avec celle-ci. Nous pensons que le ronflement était un son, une vibration, qu’ils avaient appris à connaître dans un environnement agréable.
L’évolution comportementale du chiot est fonction de son développement physique.
Jusqu’environ 10 jours, les yeux sont fermés, les oreilles également. Le chiot va utiliser son odorat et sa perception de la chaleur pour satisfaire ses besoins vitaux des premiers jours, se réchauffer et se nourrir. Pour la chaleur on peut substituer une source de chaleur (caisson de prématuré, ou lampes chauffantes, …) à la présence de la mère. Pour notre part, nous avons pour habitude de porter la température du centre du nid à 37° ; ceci permet d’une part de réchauffer les bébés plus rapidement, et d’autre part de provoquer une légère fièvre des chiots, afin de tuer l’herpes virus, si les chiots en étaient porteurs.
Pour l’allaitement, cette satisfaction du besoin primaire, permet de changer de mère si nécessaire. Cet échange est d’ailleurs grandement facilité par la nature qui a prévu le remplacement de la mère pour nourrir les nouveau-nés par une femelle qui aurait une montée de lait.
Toutefois il me paraît important, pour un développement équilibré du chiot, que la mère reste constamment en présence de ses chiots. Je sais que chez les Bulldogs, certains éleveurs ne mettent la mère en présence des chiots que pour les nourrir, afin d’éviter la perte par écrasement de nouveau-nés. C’est pourquoi le choix d’une reproductrice calme et bien équilibrée est important. Il y aura alors peu de chance de provoquer ce genre d’accident. L’adaptation des caisses de mises bas avec barre anti-écrasement peut également les éviter pour les grandes races.
De même ne faut-il pas isoler un chiot des autres. Car très rapidement, par le contact et l’odorat, une relation s’établit, autant avec la mère qu’avec la fratrie.
Enfin la manipulation régulière par l’éleveur permet une familiarisation à l’espèce humaine, une forme de pré-socialisation. Pour autant cette manipulation doit rester raisonnable. Des études américaines indiquent que des chiots élevés exclusivement au biberon auraient par la suite éprouvés des difficultés à se situer en temps que chiens, du moins socialement.
Avec l’ouverture du canal auditif et des yeux se met en place la mobilité.
Si les yeux s’ouvrent aux alentours du 10ème jour, la vue ne sera effective qu’à partir de 15 jours. Le chiot s’ouvre donc au monde qui l’entoure, avec un renforcement de l’attachement à la mère (du moins celle qui le nourrit). Il va commencer à explorer, d’abord le gîte, en l’occurrence la caisse de mise bas, puis progressivement son environnement.
La reconnaissance visuelle va alors compléter la connaissance olfactive et corporelle jusqu’alors acquise. Dans ce contexte la cohabitation ne pose aucun problème. Au contraire, des chiots élevés ensemble présenteront une meilleure socialisation intra-spécifique.
Bien souvent cette période correspond chez les éleveurs au changement d’alimentation.
Ce changement d’alimentation va d’une part conduire la mère à ne plus « nettoyer » le nid, donc à limiter les séances de léchage à but hygiénique, d’autre part à améliorer la motricité des chiots par des apports protéiniques plus importants que dans le lait maternel.
L’apprentissage de la propreté se fait quasiment naturellement. Les chiots quittent le nid pour faire leurs besoins, tout d’abord à proximité, puis de plus en plus loin.
L’amélioration de la motricité va permettre une exploration plus poussée de l’environnement, pour autant qu’on leur en donne la possibilité.
Il faut noter qu’à cet âge, si la vue est pratiquement opérationnelle, le chiot n’a toutefois pas conscience du relief, et surtout du vide. Pour lui tout est sur un même plan, ce qui pourra être une cause d’accident.
C’est une période charnière où il est important que le chiot découvre des sols différents, des objets différents.
De plus par le jeux, les règles de socialisation apparaissent, avec les postures d’agression, de soumission, d’appel aux jeux. Les chiots agissent par imitation de la mère ou des coreligionnaires. La mère intervient pour faire respecter l’ordre et apprendre l’inhibition à la morsure.
Dès cette phase il est recommandé de faire découvrir aux chiots d’autres humains que l’éleveur et son entourage.
Il est également important de commencer la découverte des autres espèces animales ou d’autres adultes que la mère, et d’autres races.
C’est le début d’une bonne socialisation intra et inter-spécifiques.
Période importante pour le développement relationnel du chiot et la mise en place d’une sensation qui permettra plus tard la survie de l’individu : la peur.
Dans d’autres périodes de son existence, la rencontre avec certains éléments ou situations engendrera des peurs. Toutefois celles que le chiot enregistrera dans cette période de 7 à 10 semaines seront irréversibles ou pour le moins difficilement rééducables.
Aussi est-il important d’offrir plein de stimuli, sonores, visuels, olfactifs afin que le seuil d’accoutumance du chiot soit le plus élevé possible, et ceci afin que nos races molossoïdes présentent adulte un comportement normal, à savoir une quasi absence de frayeurs.
Par ailleurs les « capteurs » que le chiot possède pour se reconnaître en tant qu’individu, et appréhender les autres espèces dans son environnement, disparaissent vers 14 semaines. Ensuite les espèces animales rencontrées deviennent soit des proies, soit des prédateurs potentiels.
Et c’est justement dans cette période que le législateur a décidé qu’un chiot pouvait être cédé.
Du coup au moment le plus crucial de l’appréhension de l’environnement, il va subir en même temps la visite avec piqûre du véto, la séparation de la mère et de la fratrie, le port d’un collier et d’une laisse, un voyage en voiture, un nouvel environnement. Autant d’éléments auquel il faut le préparer. Ce qui est fait chez la majorité des éleveurs.
Ensuite il faut que le nouveau propriétaire devienne rapidement l’être d’attachement, puis engage le processus de détachement qui doit se faire entre le 4ème et le 5ème mois, du moins pour les mâles.
En outre ce dernier doit poursuivre dans cette période le travail entrepris par l’éleveur, et ceci sans attendre le 2ème vaccin. Il doit emmener le chiot dans les endroits les plus bruyants - la foule, les marchés, la ville. Il doit fréquenter les clubs d’éducation canine pour y rencontrer toutes sortes de chiens - des petits et des grands, des gentils (la majorité) et les quelques irascibles, - afin que son chiot s’assume. Il faut éviter le cocooning qui aura pour effet d’annuler une partie du travail réalisé par l’éleveur, et rendre le chiot « réservé » si ce n’est craintif.
L’Ecole des chiots qui se pratique dans les clubs d’éducation de la SCC est une bonne formule.
Il est important pour le jeune chien de s’assumer en tant que tel. Il va se détacher progressivement de l’adulte de référence, tout en continuant à être considérer par les adultes comme un chiot. Les adultes accepteront les jeux mais régulièrement le remettront à sa place, au travers d’interdit, principalement à proximité de la nourriture ou vis à vis des jouets.
Pour obtenir un adulte bien dans sa peau, il convient donc de mettre des règles qui feront que le futur adulte saura dès cette période qu’elle est sa place dans la meute où il vit.
Au travers du jeu, et avec l’aide de récompense, les premières règles d’éducation sont mises en place – les positions – la marche en laisse et sans laisse – et surtout le rappel. Tout ceci ayant pour effet de positionner le chiot dans sa meute.
Ses règles acquises avant 6 mois faciliteront grandement le passage du chiot à la puberté, puis à l’âge adulte.
Et ainsi le chien et son propriétaire pourront vivre une relation heureuse dans un espace de liberté.
En conclusion, l’évolution comportementale du chiot nécessite somme toute l’attention de l’éleveur, mais aussi celle du nouveau maître. On a tendance à incriminer les éleveurs lorsque des chiens présentent des troubles du comportement. On oublie que le maître doit poursuivre le travail commencé par le naisseur. Sinon il y aura une régression rendant le chien asocial, tant avec les humains qu’avec les autres chiens.